Fête des bains

 

Les hommes donnaient de grands coups de pioches contre la surface gelée. L'usage voulait qu'ils trouent l'endroit le plus épais de la rivière, car l'effort nécessaire était déjà une étape de l'expiation. Les femmes attendaient qu'ils terminent les trous en rassemblant d'épaisses serviettes chaudes et en installant d'immenses baquets d'eau brulante pour la sortie des bains. L'étranger arrivé au village quelques jours plus tôt s'était plié à la coutume. Il avait la même religion que les villageois mais des pratiques différentes : tout le monde en déduisait qu'il venait de l'Ouest donc. Bien qu'assez âgé, l'inconnu avait une force remarquable et creusait les trous à une vitesse folle. Les villageois le regardèrent faire tout en discutant de ses origines. Car si l'étranger était poli et visiblement pacifique, il était aussi taciturne et peu avenant. Personne n'avait osé le questionner. Le village devait se contenter de fantasmes.

Quelques années plus tôt, le grand-prince Vladimir Ier, souverain de la principauté de Kiev dont faisait partie le village, s'était converti au christianisme byzantin et en avait fait une religion d'État, forçant les villageois à abandonner leur ancienne foi pour de nouvelles coutumes. Chaque mois, ou presque, il fallait célébrer le prophète, un saint ou Dieu lui-même, et les Slaves avaient adapté leur calendrier en fonction de cette nouvelle religion. En cette matinée du 19 janvier, les trous étaient désormais achevés. L'inconnu s'accorda quelques minutes de répit, adossé à un baquet, une serviette sur le corps, pour se réchauffer.

- Quelle étrange coutume, se dit-il. Passer tant d'heures à creuser des trous dans une glace si épaisse pour simplement y plonger dedans... pourquoi ne pas se contenter d'un baquet dans l'église ?

Le 19 janvier était le jour du yordan ou des "bains de la Théophanie". En souvenir du baptême de Jésus dans les eaux du Jourdain, Vladimir Ier avait imposé à son peuple un bain d'eau glacée d'une rivière, pour accueillir la nouvelle année. À midi, les festivités avaient repris dans le village. Les banquets s'éternisaient et le vin coulait à flots. L'inconnu, récompensé pour sa force, était assis à côté du chef du village, Mistiliav.

- D'où viens-tu, étranger ?
- D'une terre lointaine, et pourtant si proche, répondit l'inconnu.
- Tu viens de l'Ouest, c'est bien ça ? On m'a raconté que vous connaissez notre religion depuis des siècles déjà.
- Mon peuple est baptisé depuis la chute de Rome, en effet.
- Ah, tu es donc un Saxon ! Que fais-tu si loin de ton île ?
- J'ai été chassé de ma demeure et je suis à la recherche d'un nouveau but dans la vie, murmura-t-il en guise de réponse.
- Toi, chassé ? Avec la force que tu as ? Comment est-ce possible ?! s'étonna Mistiliav.
- Ceux qui m'ont chassé avaient de grands pouvoirs, tout comme moi. Je préfère ne pas en parler davantage.

Après le festin, le village retourna vers la rivière qu'ils avaient creusée dans la matinée. Un à un, chaque homme, femme ou enfant plongea dans l'eau glacée, sous les prières d'un prêtre missionnaire venu s'assurer du bon déroulement du yordan. Ce fut au tour de l'étranger. Le vieil homme, qui ne connaissait pas la peur, inspira profondément et plongea dans l'obscurité. La température de l'eau lui semblait bonne, preuve que son sortilège avait réussi. Il se laissa porter par le courant de la rivière, jusqu'au point où les villageois repêchaient les baptisés. La baignade, grâce à la magie, était plutôt agréable et il voyait maintenant la lumière du jour, annonciatrice de la sortie. Mais une forme attira son regard, au fond de la rivière.

- Est-ce... un buisson ?

Bien qu'étonné, il ne se trompait pas. Il planta ses doigts dans la glace pour ne plus être affecté par le courant et examina le buisson. Il était en feu et les flammes semblaient ne subir ni le courant ni l'eau.

- Mais quelle est cette magie ?!

L'homme sortit sa baguette pour sa défense. Au moment où il la pointa en direction du buisson, une voix familière l'appela. Elle était caverneuse et sifflante. Elle semblait émaner des flammes.

- Reviens vers moi. Nous avons encore de grandes choses à terminer. Ta place est ici. Ne m'abandonne pas. Tu dois nous faire honneur !

L'étranger écarquilla les yeux, se demandant si le froid ne lui faisait pas perdre la tête. Il tint sa baguette avec plus d'ardeur et se positionna de façon à ce que ses pieds touchent la glace. Il donna un grand coup de genou et se propulsa vers le buisson. Sa baguette le touchait presque... quand un villageois qui avait à son tour plongé dans la rivière le percuta. Les deux hommes furent ballotés jusqu'à l'endroit où le prêtre attendait que les baptisés refassent surface. Le vieil homme sortit la tête de l'eau et respira un grand bol d'air. Il savait à qui appartenait cette voix, car il était à ses côtés depuis sa naissance.

Il prit sa décision : il retournerait à Poudlard rejoindre son serpent et finir la Chambre. Et on prononcera encore son nom dans un millier d'années : Salazar Serpentard !


Pour le prochain numéro, le conte tournera autour de Mardi Gras selon la tradition suisse. C’est à vous de choisir son héros ! La seule condition : appartenir ou être relié à la maison Serpentard. Commentez !

 

 

Commentaires

1. Le 16 févr. 2021, 23h44 par Maela

Oh j'ai adoré cette histoire ! Bravo Come pour celle ci *-*

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet