Par Bronwyn_Densmore le 15 janv. 2023, 21h15
Vous connaissez probablement déjà l'histoire des Rois Mages, ces trois hommes qui vinrent honorer la naissance du petit Jésus en lui offrant de somptueux cadeaux. Comme les bergers, ils auraient été guidés par une étoile jusqu'au Messie - lui même étant parfois surnommé l'étoile du matin.
Les étoiles sont, depuis longtemps, un symbole de guide, de direction à suivre. Des marins qui observaient le ciel pour se repérer grâce aux constellations à la rose des vents, étoile à quatre branches représentant les quatre points cardinaux, les astres sont la lumière dans les ténèbres, destinés à nous garder sur le droit chemin et à nous éviter de succomber à la pénombre.
Mais à force de tourner nos yeux vers les cieux pour ne pas perdre de vue notre ambition, ne risquons-nous pas de devenir aveugle au monde qui nous entoure ? C'est peut-être l'un des messages d'Edmond Rostand dans son sonnet Les Rois Mages, publié à titre posthume.
Ils perdirent l'étoile, un soir ; pourquoi perd-on
L'étoile ? Pour l'avoir parfois trop regardée,
Les deux rois blancs, étant des savants de Chaldée,
Tracèrent sur le sol des cercles au bâton.
Ils firent des calculs, grattèrent leur menton,
Mais l'étoile avait fui, comme fuit une idée.
Et ces hommes dont l'âme eût soif d'être guidée
Pleurèrent, en dressant des tentes de coton.
Mais le pauvre Roi noir, méprisé des deux autres,
Se dit "Pensons aux soifs qui ne sont pas les nôtres,
Il faut donner quand même à boire aux animaux."
Et, tandis qu'il tenait son seau d'eau par son anse,
Dans l'humble rond de ciel où buvaient les chameaux
Il vit l'étoile d'or, qui dansait en silence.
Dans ce petit sonnet, Edmond Rostand imagine ici une nuit où, dans leur poursuite du Messie, les Rois Mages, aux yeux trop fixés sur le ciel, aurait cessé de voir l'étoile se retrouvant, presque littéralement, déboussolés. Mais, alors que les calculs savants et la quête de ce guide céleste échouent, c'est en s'occupant de soifs plus terre-à-terre que Balthazar, le Roi Noir, finit par retrouver l'étoile d'or.
Il existe probablement plein de façons d'interpréter cette histoire, mais j'en tire une leçon principale : la poursuite d'un objectif ne doit pas nous détourner de la réalité du chemin. Autrement dit, peu importe ce que vous cherchez à atteindre, il est des principes que vous ne pouvez pas sacrifier, des contraintes physiques que vous ne pourrez pas ignorer, et l'immensité d'une vie qui ne doit pas être oubliée.
En cette période de l'année où nous sommes nombreux à prendre de bonnes résolutions, il peut être facile de se focaliser sur l'objectif final, de se sentir découragé quand on ne l'atteint pas immédiatement... et d'abandonner. Et ces hommes dont l'âme eût soif d'être guidée pleurèrent, en dressant des tentes de coton.
Pour vous donner un exemple concret, je me suis fixé deux objectifs pour l'année : courir un 10km et lire plus. Bon, pour l'instant, je crache mes poumons après 2km et je déchiffre péniblement 5 pages par jour. Je me sens un peu nulle, quand j'y pense. Atteindre 10km me semble impossible, et je m'en veux de ne pas sortir mon livre tous les jours. Mais si je me concentre trop sur l'objectif final, j'oublie qu'il ne s'agit que de ça - une destination à atteindre. Je n'y arriverai jamais si je ne considère pas le voyage. Il faut donner quand même à boire aux animaux.
Si j'arrêtais de sortir le soir pour voir mes amis, si je me coupais de certaines activité, pour dégager du temps de lecture, je perdrais un équilibre et des liens qui sont essentiels à mon bonheur quotidien. Il y a des principes, de l'amitié au besoin d'extérieur, que je ne peux pas sacrifier.
Si j'essayais de me forcer à courir 10km, sans entraînement, alors que je n'ai jamais vraiment fait de footing de ma vie, je risque plus que si je me contente, pour l'instant, de mes deux kilomètres. Il y a des contraintes physiques, celles de mon corps, que je ne peux pas ignorer.
Plus globalement, ce sont des objectifs, mais que je les atteigne ou pas, cela n'est pas forcément important. Si, à la fin de l'année, je n'ai pas lu autant que je le voulais, si je n'arrive pas à courir ces 10km, tant pis. Ce ne sont que 12 mois dans l'immensité d'une vie où j'ai déjà accompli des choses dont je suis fière et où il me reste encore tant de choses à accomplir.
D'ailleurs, les Rois Mages, et le motif pictural de l'Adoration des Mages sont également un rappel de cette immensité. Les figures des rois mages ont évolué entre leur première mention dans la Bible et la vision que nous en avons aujourd'hui : leur nombre de trois a été fixé entre le IIIème et le Vème siècle environ, et il faut attendre le IXème ou Xème siècle pour que soient fixés les noms de Melchior, Gaspard et Balthazar.
Petit à petit, leurs représentations se font plus fréquentes, et deviennent même très populaires au XIVème siècle. Les scènes d'adoration des mages reprennent toutes les mêmes éléments : une représentation de la Sainte Famille (Jésus, Marie et, parfois, Joseph), les trois Rois Mages (évidemment), et des éléments de la Nativité (l'étable, la mangeoire, des bergers...). On retrouve généralement un contraste entre le dénuement de la Sainte Famille et la richesse des trois Rois, soulignant ainsi l'hommage rendu par ces personnages puissants à un simple nouveau-né dans une mangeoire.
De gauche à droite et de haut en bas : Dürer, Bosch, Mantegna, Rubens.
Ces trois hommes, d'âges et d'origine variés, représentent les différentes étapes d'une vie et les différentes régions du monde. On remarquera en particulier que Melchior, le plus vieux des Rois Mages, est généralement agenouillé devant Jésus, pour mettre face à face le début et la fin d'une vie, le passé et le futur.
Mais, alors qu'on pourrait penser que les Adorations symbolisent la soumission de tous et de tout à un seul objectif, à l'étoile du matin qu'est le petit Jésus, un détail vient rappeler la finitude de celui-ci : les cadeaux des Rois Mages. A l'or de la royauté et l'encens de la divinité s'ajoute en effet la myrrhe de l'embaumement, symbole de la mort du Christ.
Et finalement, c'est peut-être cela que nous ne devons pas perdre de vue, plus que nos ambitions. Ne soyons pas obnubilés par les étoiles d'un soir : elles s'effaceront toutes le matin venu. Les Rois Mages ont parcouru des kilomètres pour s'agenouiller devant Jésus, mais il n'y seraient pas parvenus s'ils avaient manqué d'abreuver leurs chameaux. Ce n'est pas se détourner de son objectif que de prendre le temps satisfaire nos autres soifs : c'est s'assurer que nous l'atteindrons dans de bonnes conditions, de façon pérenne et bénéfique.
Sur ce, à vous de jouer mes petits serpents !
Quelles sont vos bonnes résolutions pour 2023 ?
Et quel sera votre voyage pour les atteindre ?