Par Selene le 12 nov. 2014, 15h29
Vous pensez que la Bibliothèque est un paisible repaire de
Serdaigle ? Une réserve soporifique de vieux bouquins aussi
desséchés que les mains de Madame Pince ? Vous avez tort. Cet
endroit est dangereux, très dangereux. Pour peu que vous n'ayez
jamais eu une âme, fuyez, pauvres fous, fuyez l'abîme sans fonds
des prétentions littéraires.
Car il existe trois types d'auteur sur
Pouldard12.
Tout d'abord, ceux qui ont du
talent : même si un jour ou l'autre ils écrivent un navet
sensationnel, ils auront toujours leur style pour rattraper
l'ensemble, et bien sûr une armée de faux-jetons prête à encenser
leur prose à peine eussent-ils posé le doigt sur le clavier. Les
auteurs talentueux ne risquent pas de vous rendre aveugle au bout de
quatre lignes (eux).
Ensuite vient l'auteur moyen.
Admettons, ce qu'il fait, c'est pas mal. Ça se laisse lire. Il y a
souvent de la recherche, du travail, mais il manque l'étincelle
stylistique pour compléter l’œuvre. Ces auteurs-là, même s'ils
tendent imperceptiblement vers la troisième catégorie, restent
cependant d'une dangerosité moindre grâce à leur capacité innée
à ne pas se prendre trop au sérieux. Ils font leurs petites
affaires, que ça plaise ou non ; eux, ils trouvent ça marrant
d'écrire des lettres et de faire des mots avec.
Et enfin il y a l'auteur médiocre.
Nul. Zéro pointé. Caca. Ce qui caractérise l'auteur médiocre,
c'est en général la taille de ses chevilles et son incroyable
faculté à reproduire les clichés les plus immondes de cet univers.
La circonférence d'un cerveau d'auteur médiocre se situe entre
celle de la mouette méditerranéenne et d'un cacatoès – mais un
cacatoès nain, attention. Et certainement pas celui de Ionesco. En
gros, la taille de leur intellect est inversement proportionnelle à
celle de leurs chevilles.
L'auteur médiocre aime écrire des
fanfictions qui parlent d'amour en unissant des personnages que
persoooooonne, jaaaaaaamais, n'aurait eu l'idée de mettre ensemble.
Drago Malefoy et Hermione Granger font fureur chez les auteurs
médiocres, par exemple, allez savoir pourquoi. La détresse
exacerbée de quelques Gryffondor jaloux ?
Malheureusement, c'est l'espèce
d'auteur la plus répandue dans la Bibliothèque. Preuves à l'appui.
#1 L'amour. Le vrai.
#2 Le cross-over. Le vrai.
#3 Le dégueu. Le vrai.
Voilà, lecteur, tu es prévenu. Lire,
c'est un métier à risque, et ton écriture elle aussi peut être
une arme de destruction massive.
Maintenant les bases établies, on peut
passer aux choses sérieuses.
Foule en
délire : la
critiiiiiiique ! La vraaaaaie ! Au bûcher les
écrivaillons !
*Lever de rideaux triomphal sur une
Psychorigide montée sur deux poneys de lichen argenté et tenant le
Glaive de la Sanction Injuste, la Balance de
l'égalité-mais-ça-dépend-avec-qui et les yeux couverts du
Bandeau de
l'impartialité-mais-pas-trop-quand-même-ils-vont-arrêter-de-lire-si-on-est-gentils.*
Psychorigide :
Voilà voilà, mes très chers gueux, j'arrive! Nous sommes en
ce jour réunis pour soumettre au scalpel de notre analyse un livre
infortuné. Pour inaugurer cette séance de torture mensuelle –
*applaudissements*
Psychorigide :
Hé oui, vous avez bien entendu, mensuelle. Tous les mois
c'est charcuterie ! Pour commencer donc, une œuvre d'une
Serdaigle qui a eu la sagesse de fuir le site il y a quelques temps
déjà : Antasy. Son texte se nomme « Jouons »,
et il ne fait que quatre pages, parce que je sais que vous avez peur
quand c’est un peu trop gros.
…Je parle de texte. De LITTÉRATURE.
Il se trouve dans les catégories
« Dramatique » et « Angoisse/Horreur ». On
pourrait donc s'attendre à des torrents de sang et de larmes mêlés,
mais non. « Jouons » se révèle tout de même un peu
plus subtil qu'une chanson d'Insane Clown Posse.
En fait, ce qu'Antasy nous propose est
un compte à rebours rythmé débouchant sur une chute
inévitable (et qu’on avait un peu devinée, sans mentir). Mais
attendez deux secondes… Vous avez quand même pas besoin qu’on
vous fasse un résumé, vous êtes allés le lire, le bouquin ?!
*gêne*
*gêne puissante*
*gêne intergalactique*
Ok, alors mes petits reptiles chéris
en sucre, va falloir se remuer les écailles et lire ces quatre
misérables pages agonisant de solitude avant que ma rage ne se
matérialise sous la forme d’un caïman syphilitique. Merci. Voilà.
L’onglet « Bibliothèque », oui. C’est bien.
(toi
aussi apprends à te faire détester avec Selene Sambre ! Leçons
privées le mardi de dix-neuf à vingt-et-une heure).
C’est bon, c’est fait, bande de
feignasses invertébrées… Euh… Invétérées…( Ok, arrêtez
tout, j'exige la mise à mort de ce jeu de mot). Bref. Trêve de
réjouissances. Comment analyser ce texte ? En cataloguant, bien
sûr ! Voyons d’abord quels en sont les points négatifs.
Les
familiarités random.
En effet, il manque souvent des « ne »
aux négations, quelques expressions comme « pourrir la vie »
se glissent çà et là, ce qui, plutôt que de donner un nouveau
souffle à la narration, crée un décalage avec l’ensemble gênant
pour le lecteur.
Les
temps.
Tout allait bien jusqu’à « Ten »,
page 3. Le récit s’écoulait tranquillement au rythme d’un
présent d’énonciation aussi cohérent qu’adorable, et puis
KATASTROF, du passé simple, un détestable « appuya »
bientôt suivi de ses frères et sœurs. Just like dat.
Imaginez, le pauvre lecteur dont les yeux s’écorchent et saignent
sur une faute de concordance des temps à l’issue d’un récit si
bien mené ? Imaginez ma peine insondable devant la chaotique
évolution des verbes qui soudain revinrent au présent, puis au
passé simple, puis du PLUS QUE PARFAIT – ENFIN DIANTRE UN PEU DE
RESPECT QUE DIABLE !
Bref. Les temps. Sacré désavantage,
qui fait de la chute, pourtant charmante, une fin inconfortable. Une
chute qui se casse la gueule. (Ha ha ha ha ha riez svp c'est pour ma
thérapie)
La
redondance.
Oui, on a compris Madame l’Auteure, y
a pas de contexte, faut entretenir le myssstère, tout ça. Mais il
s’éternise, le mystère. Il perd de sa saveur. Comme après avoir
ingurgité six litres de Whisky-Pur-Feu : étrangement, nos
narines deviennent plus sensibles aux relents de vomi qu’à la
délicieuse fragrance du scotch. Donc la métaphore du chat et de la
souris, elle n’est plus vraiment filée, mais surtout usée jusqu’à
la corde et plus vieillie que ma mémé et l’expression
« palsambleu » réunies ! Le décompte pourrait être
mieux exploité, alors que là, on a l’impression d’une
répétition monotone avec quelques synonymes de temps en temps.
Et… C’est
certainement tout ce qu’il y a à reprocher, vraiment. Qu’en
est-il de ce qui va bien, maintenant (eh oui, navrée, nous
sommes obligés d’en passer par là) ?
Les
titres.
D’un côté, le titre
du texte : « Jouons ». De l’autre, celui du
chapitre : « qui baigne ses mains dans le sang les lavera
dans les larmes ». C’est la meilleure stratégie incitative
qu’on pouvait trouver ! Quel sadique névropathe n’aurait
pas envie d’ouvrir cette œuvre en lisant ces titres ô combien
dégoulinants d’hémoglobine et fourmillant d’idées malsaines ?
Quelle âme encore pure ne serait pas attirée par la glauque
splendeur de ces formules mystérieuses, dont le dangereux murmure
incite à de macabres aventures ? Hein, qui résisterait ?
Comment ça j’en fais
trop ? Comment ça tu en as marre de mes points
d’interrogation ? C’est de la rhétorique, manant, de la
rhé-to-rique !
Pff.
L’ambiance.
L’atmosphère qui émane
de ces quelques pages est à la base de l’intérêt que j’ai
d’abord porté à ce texte. En effet, et c’est ce qui change de
ce qu’on peut lire habituellement, le texte nous happe dans son
univers – ici une traque sombre, un règlement de compte sadique
abordé du point de vue de l’agresseur. On se perd (avant la crise
cardiaque du « appuya » bien sûr) entre les lignes, on
se laisse guider par la plume de l’auteure sans avoir à forcer
pour poursuivre sa lecture : c’est fluide, les phrases courtes
aidant, malgré la monotonie déjà mentionnée. On sent la présence
latente d’une violence masquée qui ne s’exprime pas tout à fait
dans le texte, tiraillant la curiosité du lecteur.
L’énonciation.
Par énonciation, je veux
parler de la valse des pronoms qui nous tient rivés au texte. Je
veux dire l’emploi du « tu ».
Dès les premières
lignes, on prend ce « tu » pour soi et on se dit « Maman
pourquoi elle veut me tuer la madame ?!! », ce qui… –
oh on me signale dans l’oreillette qu’il n’y a qu’à moi que
ça fait ça parce que je suis totalement paranoïaque.
Mais j’ai quand même
un peu raison non ? L’utilisation du pronom de la deuxième
personne du singulier permet au lecteur de s’insérer immédiatement
au récit, et fait de l’entrée in medias res, originellement un
peu « ça passe ou ça casse », un « ça passe »
garanti.
(Je pense que le rythme
du récit constitue également un net avantage, mais j’aimerais
bien qu’on lui fasse pas trop de compliments à cette Serdaigle.)
(de
dix-neuf à vingt-et-une heure, vous vous souvenez ?)
Enfin, il y a la
catégorie Ce que Psychorigide n’a pas compris.
Le
décompte en anglais, comme le mentionne Lust dans sa
critique. Pourkoua ? Je soupçonne que la réponse s’approche
d’un « paske cey la mode. »
Les
trucs en italique et entre guillemets aux pages 3 et 4,
traduisant les paroles de la chanson. En français, donc. Juste
après un décompte en anglais. Qu'on m'explique ou je me mets à
parler en allemand.
Eeeet… Ce sera tout.
Vous êtes déçus, hein ? Allez, pour vous consoler, on
organise un jeu de fléchette le week-end prochain, avec pour cible
l’auteur de « One Direction In Hogwarts ».
Un article illustré par Yukirin Lin et écrit par Selene Sambre